Défaites victorieuses

Défaites victorieuses

 

A l'occasion de l'exposition Victoires réalisée en collaboration avec le musée du Louvre, Claude Boli, responsable scientique du Musée National du Sport propose une chronique mensuelle autour des différentes victoires sportives et de leurs symboles.

 

« Honnêtement, quand j’y repense, c’est un match que je n’aurais pas eu envie de gagner, en fait. Oui, c’était mieux que je perde… » Quarante ans après la victoire de Yannick Noah en 1983 à Roland Garros, ces mots de son adversaire de la finale, Mats Wilander, évoquent le caractère paradoxal de la défaite. Si la victoire dans le sport de haut niveau signifie un moment de consécration, la défaite peut dans certains cas sacraliser un triste bonheur … Ainsi, la défaite peut être victorieuse. C’est ce qu’on rencontre quand on s’intéresse aux destins de sportives et sportifs passés et présents. En marche pour la machine à remonter le temps de la grandeur des défaites inoubliables.

 

Mercredi 10 juillet 1912. Jeux Olympiques de Stockholm, finale du 5000 mètres. L’épreuve est l’événement majeur. Le Marseillais Jean Bouin affronte le redoutable finlandais Hannes Kolehmainen. La presse fait de J.Bouin, un grand favori avec son statut de recordman mondial de la distance et ses nombreuses victoires dans des compétitions nationales et internationales. La course est très disputée ; aucun des deux champions ne cède du terrain. A quelques centimètres de l’arrivée, le Finlandais « casse le fil » et l’emporte à l’énergie. Record du monde pulvérisé. Jean Bouin est déçu. Ce jour-là, il pénètre dans le Grand livre français des valeureux perdants.

 

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1. JO de Stockholm. Arrivée du 5000 mètres : Kolehmainen coiffe Jean Bouin sur le fil.
2. Maillot porté par Jean Bouin lors de la finale du 5 000 m des JO de Stockholm, 1912

 

Presque dix années plus tard, la boxe passionne la France. Par sa force de frappe et son élégance, un « Chti » lensois du nom de Georges Carpentier, s’affirme comme l’icône du Noble art. Le 2 juillet 1921, il défie l’Américain et champion du monde des poids lourds, Jack Dempsey. Le combat se déroule aux Etats-Unis. Toute la France attend avec impatience l’issue heureuse du « combat du siècle ». Devant près de 100.000 spectateurs, Carpentier, blessé au 2ème round, vacille face aux attaques de l’Américain. Le Français s’écroule au 4ème round. Le courage n’a pas suffi mais il a retenu l’attention de milliers de fans de toutes les catégories sociales, de tous âges, des femmes célibataires ou mariées, des anciens soldats de la Grande Guerre... A son retour, Carpentier est salué comme un héros.

 

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1. Tract du combat Carpentier-Dempsey, 1921 - Coll. Musée national du Sport
2. Portrait de Georges Carpentier, années 1920 - Coll. Musée national du Sport

 

Est-il possible d’évoquer la défaite heureuse sans convoquer le duel cycliste Anquetil-Poulidor ? Dans les années 1960, quand arrive le Tour de France, le pays est divisé entre partisans du Roi Jacques et amoureux de « Poupou », l’éternel perdant. Le mythe s’est fabriqué le 12 juillet 1964 au mont Ventoux, dans un coude à coude épique célébré par la puissance d’une photographie prise à quelques centimètres des coureurs. Pour la première fois, l’ombre de la défaite se lit sur le visage d’Anquetil, Poulidor semble prêt à endosser l’habit de leader. Largué à 900 mètres du sommet, Anquetil conserve 14’’ d’avance au classement général et relègue finalement Poulidor à 55’’. Cruel dénouement d’un cycliste malheureux dont la popularité est indépassable. La Grande Boucle a réservé d’autres bouleversantes défaites heureuses. Rappelons-nous de 1913. Eugène Christophe, parti pour remporter le Tour. Il casse sa fourche, parcourt 14 km à pied pour la réparer. Il met 4 heures et perd le Tour. Il devient une légende. En 1971, Luis Ocana s’attaque à « l’imbattable » Eddy Merckx. La malchance fait son entrée. Alors qu’il est porteur du Maillot Jaune (premier au classement général), Ocana chute dans la descente du col de Mente à cause d’un sol mouillé par la pluie. Il abandonne. Pour honorer son adversaire, Merckx refuse de porter le Maillot Jaune au départ de l’étape suivante.   

 

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1. Dans sa caricature « La France embrasse Poulidor », le dessinateur Dero illustre la prodigieuse popularité du coureur.
2. Tour de France 1913, au sommet du Tourmalet et en très bonne position pour gagner, Eugène Christophe brise sa fourche et parcourt à pied, 14 km pour trouver une forge.

 

Plus près de nous, Jeux Olympiques de Rio 2016. Epreuve de boxe féminine. Après une « pause maternité » Sarah Ourahmoune, 34 ans, revient à la compétition et se qualifie pour les Jeux. Elle arrive en finale, échoue contre la Britannique Nicola Adams, championne du monde et championne olympique en titre dans la catégorie des -51 kg. La boxeuse francilienne (licenciée au Boxing Beat d’Aubervilliers) perd son match mais remporte le combat de la reconnaissance totale des femmes dans l’arène sportive. Défaite inspirante.

 

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1. Casque de boxe signé par les deux championnes des Jeux de Rio, en 2016, Estelle Mossely (médaille d'or) et Sarah Ourahmoune (médaille d'argent).
2. Maillot de l'Equipe de France Olympique de boxe signé par Tony Yoka, Estelle Mossely, Sarah Ourahmoune, Christian M'Billi Assomo, Hassan Amzile, Paul Omba-Biongolo et Elie Konki.

 

 

FOCUS SUR... Le Maillot Jaune déchiré de Luis Ocaña